C'est l'organe essentiel d'une monoplace, sans lui elle ne décollerait pas de la grille de départ, mais c'est aussi, peut-être son élément le plus complexe et le plus difficile à appréhender. Soumis à des forces inimaginables un moteur de F1 défie les lois de la physique pour développer toujours plus de puissance. Le moteur est peut-être bien caché sous la carrosserie mais il est loin d'être l'élément le moins intéressant en Formule 1.
Comme nous avons pu le voir dans l'article précédent, le moteur d'une F1 a pour base le fonctionnement d'un moteur de série. Cependant si le principe est simple, l'application est extrêmement complexe, car dans une monoplace l'enchaînement de ces 4 temps
peut avoir lieu jusqu'à 19 000 fois par minute ! Ceci entraîne l'apparition d'énormes contraintes sur les pièces du moteur que les ingénieurs s'efforcent de diminuer.
En outre, l'architecture d'un moteur de F1 est très réglementée, actuellement il doit comporter 8 cylindres pour une cylindrée de 2 400 cm3 (volume total des cylindres). 4 cylindres sont répartis de chaque côté, formant un V qui s'ouvre selon un angle de 90 degrés. Le V8 présente l'avantage d'être plus léger et plus rigide que le V10 (car plus court), mais la course des pistons est plus longue ce qui entraîne une diminution du régime moteur maximal.
En effet, plus la course des pistons est longue, plus leur déplacement devra être rapide pour maintenir un régime moteur élevé. Or, leur accélération et leur vitesse sont bien souvent ce qui détermine la durée de vie du moteur. Une vitesse accrue augmente l'intensité des charges auxquelles pistons et bielles sont soumis. En course les pistons peuvent subir une accélération de l'ordre de 9000 G et se déplacer à une vitesse de 25 m/s. C'est pourquoi la durée de vie d'un moteur de F1 est si courte : de l'ordre de 1 500 km comparés aux centaines de milliers de km de nos voitures de série. Pour diminuer la course du piston et donc sa vitesse, les ingénieurs ont tendance à augmenter son alésage (son diamètre). Mais la course ne peut pas être diminuée indéfiniment et quand le rapport alésage/course atteint les 2,25 des problèmes de combustion apparaissent, ce qui est néfaste pour les performances du moteur. De plus, quand la course des pistons est courte, le moteur est moins haut ce qui abaisse son centre de gravité et favorise un bon comportement dynamique de la monoplace.
Les moteurs sont composés de plusieurs cylindres afin d'homogénéiser le cycle. Les mouvements des pistons engendrent des vibrations, la bonne dispositions des cylindres permet à ces vibrations de s'annuler partiellement entre elles.
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Fonctionnement des soupapes
Pour alimenter les cylindres en essence et en air, ainsi que pour permettre l'échappement des gaz après la combustion, les soupapes doivent s'ouvrir et se fermer à très grande vitesse selon un enchaînement réglé avec la précision d'une horloge suisse.
Pour atteindre des régimes moteur de 19 000 tours/ min, les ingénieurs ont recours à des soupapes à rappel pneumatique. En effet, au delà de 13 000 tours/min, le système "classique" de soupapes à simple ou double ressort s'avère totalement inefficace car, à ce régime, les ressorts entrent en résonance et les soupapes "s'affolent", désynchronisant le cycle moteur et pouvant entraîner leur collision avec le piston ce qui détruirait le moteur. Dans les soupapes à rappel pneumatique c'est de l'azote (très stable à haute température) sous pression (environ 7 bars) placé dans un petit cylindre, qui joue le rôle de ressort. Lorsque la soupape s'ouvre le gaz est comprimé, la surpression dans le cylindre la pousse alors à se refermer. Pour prévenir toute baisse de pression, les Formules 1 possèdent un réservoir embarqué d'azote comprimé à 170 bars.
La synchronisation ouverture / fermeture des soupapes est assurée par l'arbre à came. Dans un moteur il faut que l'arbre à came et le vilebrequin soient eux aussi synchronisés : le vilebrequin doit tourner deux fois plus vite que l'arbre à came. Dans les voitures classiques la liaison entre ces deux pièces est assurée par une courroie ou une chaîne, mais à des régimes moteur si élevés cette solution n'est pas applicable et elle est remplacée par un système d'engrenage de pignons, résistant à l'usure à vitesse élevée.
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Alimentation en air et en essence
Plus la pression est élevée à l'entrée de la chambre de combustion, meilleure est l'admission. C'est sur ce principe que reposent les turbos, mais ces dispositifs de surpression sont interdits en F1, il a donc fallu trouver une autre solution pour élever la pression à l'entrée des cylindres.
C'est la fonction de la boîte à air : l'air rentre dans un conduit situé au dessus de la tête du pilote, celui-ci s'élargit et aboutit à un gros filtre à air. Quand l'air arrive dans ce conduit dont le diamètre augmente il ralentit et se tranquillise ce qui augmente la pression à l'entrée du filtre à air. Après l'avoir traversé, l'air se présente à l'entrée des cylindres, au niveau des trompettes d'admission, là où se fait le mélange air/essence. Un moteur de F1 est très gourmand en air : environ 14 grammes d'air par gramme d'essence consommé, à plein régime il ne lui faut pas moins de 500 litres d'air par seconde pour fonctionner correctement ce qui n'est pas toujours facile à réunir ! La mécanique des fluides est complexe et il suffit parfois de peu de choses pour que le moteur étouffe.
Les trompettes d'admission constituent l'entrée du conduit d'admission qui aspire le mélange jusque dans le cylindre. Leur forme est étudiée pour canaliser et tranquilliser le flux d'air sortant de la boîte à air et de le diriger vers les soupapes d'admission. Chaque trompette dessert un cylindre.
A l'entrée du cylindre, l'air est arrêté par la soupape, quand celle-ci s'ouvre l'air est aspiré à l'intérieur du cylindre par le piston qui redescend en même temps qu'il est poussé par l'air sous pression dans la trompette d'admission. En effet, quand la soupape se referme, l'aspiration est coupée net, le flux d'air vers le cylindre est stoppé ce qui crée une suppression qui remonte dans la trompette d'admission. Pour simplifier disons que l'air "se bouscule au portillon" à l'entrée du cylindre. C'est ainsi que les motoristes se sont passés de l'usage de turbos tout en maintenant une admission très efficace.
Quand à l'essence elle est désormais vaporisée à l'entrée des trompettes d'admission au lieu d'être injectée directement dans la chambre de combustion ou dans le conduit d'admission. Le mélange air/essence, pour être efficace se doit d'être parfaitement homogène. L'injection en amont des trompettes favorise l'homogénéité du mélange et évite que l'essence ne se dépose sur les parois du conduit d'admission ou sur la soupape, provoquant une perte de puissance par appauvrissement du mélange.
En effet, la puissance développée par le moteur dépend de la richesse du mélange air/essence : un mélange enrichit en essence augmente la puissance moteur alors qu'un mélange appauvri la diminue et baisse par la même occasion la consommation de carburant. Ainsi, durant les courses, les pilotes disposent de différents réglages ou "cartographies" moteur modifiant la teneur en essence du mélange, ce qui permet d'alterner entre économie de carburant quand on est coincé dans le trafic ou gain de puissance quand la voie est libre. Toutefois, trop appauvrir le mélange peut provoquer une surchauffe du moteur. C'est bien connu, en F1, tout est question de compromis.
Une fois que le mélange a explosé les gaz d'échappement doivent être conduits hors des cylindres. Plus leur élimination est efficace, meilleure est la capacité du moteur à aspirer de l'air pour le cycle suivant. La conception des conduits d'échappement est donc primordiale pour la performance.
En leur sein, deux phénomènes cohabitent :
- Le déplacement du flux de gaz à environ 60 m/s et
- La vibration du flux entraînant la formation d'une onde acoustique (un bruit) qui se propage dans les conduits.
Chaque cylindre produit une onde acoustique, ce qui crée un réseau d'ondes qui doivent toutes être accordées (toutes doivent vibrer à la même vitesse, c'est à dire avoir la même longueur d'onde) pour que l'écoulement de la veine de gaz soit optimale. Ainsi les tuyaux doivent tous avoir le même diamètre et la même longueur avant leur raccordement, ce qui explique leur forme parfois très complexe.
Les gaz sont expulsés de la voiture à une température de 950 degrés dans une zone de basse pression à l'arrière de la voiture ce qui demande un travail sur l'aérodynamique de l'aileron arrière. L'échappement se fait vers le haut pour protéger le flux d'air sous la voiture mais peut compromettre l'intégrité des suspensions arrières, c'est pour les protéger de la chaleur que celles-ci sont parfois recouvertes d'un film d'or.
C'est le flux d'air qui entre dans les pontons de la monoplace qui assure le refroidissement du moteur. Pour que celui-ci soit efficace il faut donc que la voiture avance : plus elle va vite, plus la quantité d'air qui entre dans les pontons et qui passe par les radiateurs augmente. C'est pourquoi les Formules 1 chauffent si vite quand elles sont arrêtées ou au ralenti derrière le safety car. Les radiateurs sont des échangeurs thermiques, ils permettent de faire diminuer la température du liquide de refroidissement et de l'huile grâce à l'air qui circule à haute vitesse à l'intérieur. Pour récolter le plus d'air possible les pontons se trouvent à un endroit où la pression dynamique est élevée et le flux constant.
Un moteur de F1 fonctionne correctement aux alentours de 100°C, cette température permet une combustion efficace et le bon fonctionnement des pièces moteur.
Une fois que l'air a traversé les radiateurs, il est extrait par des ouvertures pratiquées dans la carrosserie et dont la forme et la taille dépendent du degré de refroidissement nécessaire, qui varie selon les circuits et les circonstances (qualification, course...). En général on peut observer des ouvertures en cheminée ou en ouïes, elles peuvent aussi être totalement occultées. Elles sont conçues pour perturber le moins possible le flux aérodynamique autour de la voiture.
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La lubrification du moteur
La lubrification permet de réduire les frottements appliqués aux pièces et ainsi de limiter leur usure tout en améliorant la puissance et la fiabilité du moteur. Le lubrifiant permet aussi l'étanchéité des cylindres et le nettoyage du moteur grâce à ses propriétés de dispersion et de détergence.
Dans une voiture de série, le vilebrequin barbote dans un réservoir d'huile appelé carter, ce qui limite les frottements entre les pièces. Sur une Formule 1 il n'y a pas de carter, on parle de "carter sec". Une pompe, alimentée par un réservoir, qui envoie de l'huile dans le moteur puis elle est recueillie à l'aide d'une autre pompe pour être réinjectée dans le réservoir. Cette technique limite les frottements visqueux de l'huile sur le vilebrequin et l'absence de carter permet d'abaisser un peu plus le moteur et donc son centre de gravité. De cette façon on évite aussi que l'huile ne soit plaquée contre l'une ou l'autre des parois du carter quand la voiture prend un virage à haute vitesse ou freine brutalement.
La qualité du lubrifiant est l'objet d'un développement constant. Plus la lubrification est efficace et permet une évacuation de la chaleur, plus les radiateurs assurant le refroidissement de l'huile et du liquide de refroidissement peuvent être petits, ce qui influence directement l'aérodynamique de la voiture.
En F1, le carburant se doit d'avoir une composition constante, la moindre variation rendrait caduque le réglage du moteur. Cependant, l'essence utilisée n'est pas si éloignée de celle de nos voitures, elle s'enflamme mieux car son indice d'octane est plus élevé : 102 contre 88 ou 85 pour une essence classique, et elle est plus pure et plus contrôlée.
De nos jours, les améliorations de la qualité du carburant visent principalement à améliorer la fiabilité du moteur et à diminuer la consommation.
La consommation varie en fonction des circuits, du style de pilotage du pilote et du temps : la pluie peut augmenter, parfois jusqu'à 25%, la consommation de carburant. En F1, elle se calcule généralement en kg/tour. Une monoplace consomme environ 2,5 kg d'essence par tour soit environ 80 L/100 km. Si on fait le rapport puissance/consommation un moteur de F1 ne s'éloigne pas tant que ça de nos voitures. Par contre, il est beaucoup plus gourmand en huile puisqu'il en avale environ 10 L par course.
En conclusion un moteur de F1 repose sur les mêmes principes qu'un moteur à combustion interne classique mais le niveau de performance qui lui est demandé impose une optimisation de toutes ses pièces et le développement de nouvelles solutions pour parer à tous les problèmes liées aux vibrations, aux accélérations et aux frottements rencontrés uniquement à ces très hautes vitesses. Bijoux de haute technologie dont les autorités veulent sans cesse réduire les performances, c'est sans compter sur l'ingéniosité qu'ont leurs concepteurs pour toujours les améliorer.